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Paru dans Figaro

La punition électorale



KATIA CLARENS, À POITIERS
[27 mars 2004]


Autour d'une table du George Sand, une boîte de nuit du centre de Poitiers, quelques jeunes gens parlent. Il doit être 3 heures du matin. Au centre de la discussion, les élections. Plus exactement, l'un d'eux vient d'avouer qu'il n'ira pas voter dimanche et le ton monte. Dans le brouhaha, on entend quelques mots : «Royal, Morin, FN...» Un serveur finit par se fâcher : «Hé ! ho ! on est en club ici ! Ça suffit, les élections !»


Quelques heures plus tard, devant la façade XIIe siècle de la superbe église Notre-Dame-la-Grande, c'est Jacques, 67 ans, qui se fâche : « C'est incroyable, on dirait qu'on va élire ici le président de la République ! C'est trop !» Car l'élection a bien pris un tour national en voyant s'affronter, à gauche, Ségolène Royal, la populaire compagne du premier secrétaire du PS (42,6%), et à droite, Elisabeth Morin, la régente que le Premier ministre a donnée à la Région (32,9%). Ici, le taux de participation a augmenté de plus de 3 points au-dessus de la moyenne nationale, à presque 66%, et le vote des plus jeunes a probablement fait la différence : «On a regardé les dates de naissance sur les cartes d'identité, raconte Aurélie Villeminey, responsable administrative au bureau de vote de la mairie de Poitiers. Il y avait beaucoup de très jeunes. Des gens qu'on ne voit pas d'habitude.» Depuis, et bien que la candidate socialiste parte largement favorite, le débat fait rage. Au Café des Arts, quelques étudiants en droit s'indignent que tant de médiatisation ait servi la gauche. Louis, un sympathique gaillard de 21 ans, a son idée sur le sujet : «On est l'une des Régions les plus dynamiques de France. Elisabeth Morin, qui a tenu ses promesses, paye pour des revendications nationales qui n'ont rien à faire là.» «Tout à fait d'accord !, lance à la volée Stéphane, le serveur de 31 ans. Il faut arrêter l'amalgame !» Une jeune femme, Florence, renchérit : «Ségolène a déjà un mandat national (NDLR : député des Deux-Sèvres). Et, tout d'un coup, elle débarque : c'est trop politisé. Ce qui compte, c'est la pérennité de la Région.» Anne Sophie ne dit pas le contraire. Mais, dimanche, elle choisira le bulletin de Ségolène Royal, le seul des trois en papier glacé : «Je vais voter contre le gouvernement et sa politique que je trouve excessive. C'est vrai que Morin est mieux au niveau régional, mais l'assemblée et le gouvernement sont à droite et je suis pour plus d'alternance politique.» Même décision pour Aurélian, 19 ans. Au début de la semaine, à La Rochelle, il était du bruyant groupe d'étudiants qui ont manifesté à la sortie du meeting d'Elisabeth Morin et de Jean-Pierre Raffarin : «Je suis ici pour me faire entendre par le gouvernement.» Et pour sanctionner le bilan Morin au niveau régional ? «Ah non ! sur son bilan, il n'y a rien à dire...» A quelques pas, Edith s'étonne avec un sourire gêné : «Ah bon ! elle a un bon bilan, Elisabeth Morin ?»


"Ici, d'habitude, la droite fait plus"


C'est dire si les électeurs ont souhaité sanctionner Raffarin en son fief. Même Chasseneuil-du-Poitou, la propre ville du Premier ministre, n'échappe pas à la règle : la liste Royal y emporte 42,21% des suffrages. Soit... 0,4% de plus que la liste UMP-UDF. «C'est du jamais vu ! déplore Philippe, 42 ans, patron du Café de la Gare et président des commerçants du centre-bourg. Ici, d'habitude, la droite affiche cinq points de plus que la moyenne régionale. Les gens mélangent tout et votent à gauche parce qu'ils n'ont pas aimé les mesures prises par le gouvernement. Pourtant, il fait bon vivre en Poitou-Charentes, la preuve, le FN, avec 10,5%, a fait l'un des scores les plus faibles.» Et ce score, suffisant pour rester en lice au second tour, pourrait bien nuire à Elisabeth Morin. Qui ne désespère cependant pas, avant dimanche, de faire entendre ses résultats en matière de création d'entreprises («Nous sommes les premiers selon l'Insee, insiste-t-elle), de politique culturelle et de promesses électorales tenues... Ségolène Royal, elle, ne veut pas entendre parler de vote sanction ou de débat national. Toute la semaine, elle s'est attelée à démontrer son en-gagement régional. Sans vraiment convaincre. Mais qu'importe : elle sait bien que, en votant pour elle au premier tour, les Picto-Charentais ne saluaient pas un programme.



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