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Paru dans Libération

«Une école, c'est hyperfragile»


A Paris, des parents d'élèves occupent les locaux pour protester contre la carte scolaire.
  
    
Par Marie-Joëlle GROS

mardi 30 mars 2004



Les choix du gouvernement, «c'est une incitation à mettre nos enfants dans le privé, une forme de privatisation». Un parent d'élève    e ne sont pas des militants, juste des parents. Qui posent une journée de congés pour aller occuper, à tour de rôle, l'école de leurs enfants. Qui fabriquent des tracts, peignent des slogans sur les murs, font signer des pétitions, partent en délégation chez l'inspecteur d'académie ou au ministère. Leur bête noire, c'est la carte scolaire et ses effets négatifs: fermetures de classes et dotations horaires en baisse.

Ce mouvement de parents d'élèves, né spontanément au début du mois, est «inédit», selon des syndicalistes, et éclaté dans sa forme: sans coordination nationale. «Les parents se montrent extrêmement déterminés à défendre le service public. Ils ne lâcheront pas comme ça», pronostique Jean-François Fontana pour Sud éducation. A Paris, où 250 postes d'enseignants doivent être supprimés ainsi que 69 postes de non-enseignants (personnels ouvriers, administratifs, infirmiers, etc.), les parents ont investi une vingtaine d'écoles, collèges et lycées franciliens.

Relais. Au collège Yvonne-Le-Tac (XVIIIe arrondissement de Paris), les parents occupent la loge de la concierge depuis trois semaines. Et répondent au téléphone. «Depuis le conflit du printemps, les enseignants sont exsangues, il fallait prendre le relais.» Ce collège va perdre 37 heures de cours l'an prochain : «En biologie, en maths, en langue, il n'y aura plus moyen de faire des classes allégées.» Il accueille aussi une unité pédagogique d'intégration (UPI). «Que vont devenir les élèves handicapés mentaux qui ont justement besoin de travailler en petits groupes ?» interrogent certains parents. Ils sont une cinquantaine qui se distribuent les rôles par mail et se baladent dans le collège comme à la maison. La principale n'apprécie pas du tout, le syndicat des chefs d'établissement les traite de «terroristes». Les professeurs, qui ont opté pour la grève des bulletins de notes, sont, eux, ravis : «L'investissement des parents nous a surpris. En fait, on partage les mêmes analyses.»

Yvonne-Le-Tac était jusque-là «un collège plan-plan» (416 élèves), dans un quartier à la mode, celui des Abbesses. «L'an prochain, les enseignants ne pourront plus enseigner décemment, explique un père. L'école ne sert plus d'ascenseur social, il y a rupture du pacte. C'est une incitation à mettre nos enfants dans le privé, une forme de privatisation. Pour nous, c'est non. On a fait le choix de l'école publique.» Même engagement à l'école élémentaire de la rue Tourtille, au coeur de Belleville, où les problèmes sont pourtant différents. Dans ce quartier «de plus en plus pauvre», l'école accueille quantité d'élèves «en grande difficulté». Deux postes d'emplois jeunes ont été supprimés à la rentrée et la moitié de l'équipe enseignante renouvelée. «La conjonction des deux a totalement déstabilisé l'équilibre qui permettait de contenir les violences du quartier aux portes de l'école», soulignent les parents. Depuis, les bagarres se multiplient. «Une école, c'est hyperfragile, raconte un instituteur. Il nous faut des moyens adaptés aux spécificités du quartier.» L'inspectrice de circonscription leur répond qu'elle n'est pas Mary Poppins. Mais l'école voisine va fermer pour travaux, et celle de la rue de Tourtille devra récupérer une bonne partie des élèves. «On nous demande de faire toujours mieux avec de moins en moins de moyens»..

Ecoeurement. Ces parents, déjà investis dans des activités sportives ou des clubs de soutien scolaire, se disent piégés: «Ce n'est pas à nous de combler les manques.» Et s'entendent souvent répondre que, «si les écoles se ghettoïsent, c'est la faute des parents qui décident de mettre leurs enfants dans le privé». Ecoeurement. «On a choisi d'habiter ce quartier, on croit à la mixité sociale. Nos enfants et ceux des autres doivent pouvoir vivre au mieux dans l'école publique. La faire exister, c'est un choix politique.»


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